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De août à décembre 2017, j’ai marché pendant 4 mois sur le Chemin de Compostelle de Strasbourg à Saint-Jacques de Compostelle (environ 2000 kilomètres). J’ai interviewé des pèlerins en chemin et réalisé un film et écrit un livre sur cette aventure.

On m’a souvent demandée ce que le Chemin m’avait apportée. Je vous livre ici 5 prises de conscience que j’ai eues en marchant sur le Chemin de Compostelle.

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Suivre son GPS intérieur plutôt que la signalisation extérieure

Quand on marche sur le Chemin de Compostelle, on a juste à suivre une flèche jaune, le chemin est très bien balisé. Et c’est agréable de savoir où on va et quelle route prendre, à chaque croisement, ça calme le mental.

Sur le Chemin de la Vie, je crois que j’ai souvent cherché à me rassurer en suivant un chemin très balisé. J’ai même eu le sentiment d’avoir suivi une autoroute pendant toute une période. L’autoroute qui mène à un soi-disant « succès matériel et social ». On sait exactement quoi faire à chaque moment : être bon élève à l’école, faire de bonnes études. Puis on (s’)enchaîne avec le bon boulot bien payé en CDI dans une grande entreprise, le crédit pour acheter son appartement, on gravit les échelons de la hiérarchie, etc. Il y a quelque chose de rassurant à suivre les panneaux qui ont été placés sur notre chemin par une autorité extérieure à la notre.

Choisir de suivre son propre chemin, marcher hors des sentiers battus, questionner à chaque carrefour ce qui vibre en nous plutôt que de suivre docilement les balises déjà placées par d’autres est plus difficile. Il s’agit de réussir à suivre son autorité intérieure plutôt qu’une autorité extérieure. Et il n’y a pas de signalisation, d’indication à l’extérieur, il faut les chercher en nous. Nous sommes livrés à nous-même à essayer de comprendre comment fonctionne notre propre GPS, dans la confusion d’injonctions paradoxales. Il s’agit de se référer directement à la Vie en Soi, se mettre en contact avec le moindre fragment de Vie et lui faire confiance, lui donner priorité sur tout le reste. Même si on avance avec un mètre de visibilité, continuer à suivre la petite lumière.

« Je ne vous dis pas que ce sera facile – je vous dis que cela en vaudra la peine. » Arthur Williams 

Quand le chemin te paraît long, concentre-toi sur les petits pas quotidiens

« Un chemin de mille lieues commence toujours par un premier pas », Lao-Tseu. 

Quand j’ai commencé à marcher de Strasbourg en direction de Saint-Jacques de Compostelle, je n’y croyais pas vraiment que j’irais jusqu’au bout. Le Chemin me paraissait tellement long et j’avançais lentement… Je crois que ce qui fait qu’on finit par y arriver, c’est de diviser la tâche à accomplir en petites parties, en petits pas quotidien. Les 2000 kilomètres peuvent se traduire en un kilométrage par jour, et là ça devient 20 kilomètres par jour pendant 100 jours par exemple : 10 km par demi-journée. Et ça devient faisable.

Je pense que c’est pareil avec n’importe quel projet dans lequel on se lance. Ça peut nous paraître énorme au début et on peut facilement se décourager en se concentrant sur l’objectif final. Alors que si on se concentre sur les petits pas quotidien, on va avancer, sans s’en rendre compte, au fur et à mesure du temps, vers cet objectif.
D’ailleurs, je me rend de plus en plus compte de l’importance du mouvement. Quand une tâche me paraît trop ardue, je peux avoir tendance à être paralysée puis abandonner et ne rien faire. Alors que si je me met en mouvement dans l’instant présent (en faisant un tout petit pas), ça « relance la roue ». Le premier pas est le plus difficile et une fois fait, je me sens comme entraînée par le projet. Certains matins sur le Chemin, je n’avais aucune envie de marcher. Je commençais à marcher un peu et au bout d’un moment, je marchais sans effort, j’étais comme portée.

L’importance d’écouter son propre rythme

En marchant sur le Chemin de Compostelle, j’ai eu du temps pour contempler la nature : les arbres, les fleurs, les animaux, …
Je suis partie marcher en été et j’ai fini le chemin en hiver et j’ai eu la joie de voir la nature se transformer. Et j’en suis venue à cette réflexion : le pommier ne produit pas des pommes toute l’année mais seulement à un moment précis durant quelques mois. Et parfois, il peut ne rien produire plusieurs années de suite puis produire à fond ensuite. Il n’est soumis à aucune autorité lui exigeant de délivrer des résultats en nombre de pommes, il fait juste ce qu’il a à faire, naturellement. Cette réflexion, je l’ai élargie à l’être humain.

Je suis plutôt partisane de la théorie selon laquelle on fait partie de la nature. Et qu’on est donc soumis aux mêmes lois universelles que celle-ci. Pourtant, on a inventé nos propres lois, les lois de l’être humain, et la course à la productivité et aux résultats en est une. Par exemple, dans la plupart des entreprises, on a des deadlines et des objectifs à atteindre dans un temps imparti. Alors que notre corps a son rythme biologique où il est plus ou moins productif. Si je suis dans une phase plus introspective qu’active, ça me demandera beaucoup d’énergie et de stress de devoir produire rapidement un travail alors que dans ma phase active, ce sera très fluide.

Sur le Chemin, il y a des moments où j’étais pleine d’énergie ; je pouvais marcher 30 kilomètres et d’autres moments où je sentais que j’avais besoin de me reposer, d’y aller doucement. Ça n’a d’ailleurs pas été si évident pour moi d’assumer de ne marcher que 15 km une journée par exemple alors que les pèlerins que je retrouvais régulièrement allaient me dépasser, ce qui impliquerait que je les perde de vue. Aussi, même sur le Chemin de Compostelle, on nous demande en arrivant dans le gîte le soir d’où on est parti le matin et on voit des pèlerins afficher fièrement qu’ils ont marché 35 km. Ecouter son propre rythme consiste à assumer pleinement sa vulnérabilité à certains moments et assumer d’être vulnérable, c’est être courageux. 

De toutes façons, j’ai bien vu que si je me forçais à marcher, je risquais de me faire une tendinite ou d’autres maux qui m’immobiliseront quoi qu’il arrive. Se forcer à avancer dans l’instant, c’est devoir être forcé de reculer dans le futur
Et si on s’autorisait plus à vivre les phases plus calmes, sans se culpabiliser, sans se forcer, dans l’acceptation de notre rythme ?

Ce que je donne à l’autre, je me le donne à moi-même

Le Chemin de Compostelle, c’est un peu comme une sorte de société recomposée : la société des pèlerins et des anciens pèlerins, avec ses règles, qui diffèrent de celles de la société telle que nous l’expérimentons hors chemin. De ce que j’ai vécu, une des règles un peu implicite est de donner sans rien attendre, sans s’attacher à ce qu’on aura en retour. Et en faisant confiance qu’en donnant, on est nous même pris en charge de toute façon aussi. Par exemple, il y a encore (et heureusement) pas mal d’auberges « donativo » sur le Chemin, où on peut venir dormir et/ou manger, en donnant ce que l’on souhaite donner. Il n’y a pas de prix fixé, on met dans une boîte l’argent que notre cœur nous dit et on peut ne rien donner si on n’a pas ou très peu d’argent. Les personnes qui gèrent ces auberges sont généralement des bénévoles, qui ont eux-même fait le chemin ou des personnes qui décident de faire confiance et qui vivent avec ce qu’ils reçoivent dans une sobriété heureuse. 

Par ailleurs, surtout en Espagne, il y a beaucoup d’endroits où trouver des caisses d’habits et d’objets laissés par les pèlerins, dans lesquelles on trouve des tas de choses comme des habits, sacs de couchage, serviettes, chaussures, carnets de note, etc. Je suis partie sur le chemin en août et je suis revenue en décembre et entre mon départ et mon arrivée, je n’ai absolument RIEN acheté. Je me suis entièrement rhabillé pour affronter les températures d’hiver en trouvant des habits dans ces caisses d’objets (gants, bonnet, veste, pull), dans lesquelles j’ai laissé mes habits d’été. J’ai aussi pu trouver des livres que je lisais puis que je déposais à un autre endroit. J’ai rencontré plusieurs pèlerins qui ont fait le Chemin jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle sans argent et qui ont pu témoigner dans mon film à quel point les gens étaient généreux quand ils se trouvaient face à la possibilité de donner. 

Ce que j’ai reçu ne se résume pas seulement à des choses matérielles (comme une nuit dans une auberge ou chez l’habitant, des habits, un repas), ça va bien au-delà : j’ai reçu une écoute attentive, des massages quand j’avais un début de tendinite, des « hugs », des petites attentions, des compliments, des sourires, différents services, de l’énergie pour avancer… Et puis aussi, un pèlerin qui a aimé mon projet de film a passé 4 jours avec moi à me filmer (mon film ne serait pas ce qu’il est sans lui). 

Et quand on reçoit tellement, on veut donner. A un moment, en me levant le matin, je me demandais : « Comment je peux être utile à quelqu’un aujourd’hui? ». Je cherchais à être à disposition, me sentant moi-même pleine d’amour et de joie. Ça aussi, je l’ai compris sur le Chemin : il faut avoir reçu pour donner ; être d’abord soi-même plein pour donner aux autres de façon juste, pure, désintéressée. D’où l‘importance d’accepter de recevoir pour se remplir et donner ensuite à son tour ☺

Et au final, peu importe qui donne et qui reçoit… Le receveur donne l’occasion au donneur d’exprimer sa générosité, son amour. Donner procure une joie immense. Dans notre société qui utilise l’argent comme monnaie d’échange, on a tendance à séparer ces deux notions de donner et recevoir alors que le donneur reçoit. Ce que je donne à l’autre, je me le donne à moi-même.

Savoir se laisser transformer par le Chemin

La définition du dictionnaire Larousse dirait qu’un pèlerin est une personne qui va visiter des hauts lieux de piété dans un but essentiellement religieux. Il y a une définition qui a davantage résonné en moi, dont on m’a parlée sur le Chemin de Compostelle : 

« Le pèlerin est celui qui pèle ses peaux, les unes après les autres… Comme on pèle un oignon. Jusqu’au cœur… » Patrick Bureinsteinas

Le pèlerin se déshabille de tous ses conditionnements, de toutes ses croyances, il les déleste les unes après les autres. Le pèlerin se dépouille : des affaires de son sac à dos et aussi de ses pensées. Être pèlerin, c’est mourir à soi en quelques sortes. Laisser aller des couches de peaux qui ne nous conviennent plus, qui pèsent trop lourd. C’est se donner au Chemin. Se laisser transformer par le Chemin. Cette transformation ne peut opérer qu’à la mesure de notre propre degré d’ouverture. Comme dans chaque voyage, je crois qu’on reçoit à la mesure du degré auquel on s’est donné. 

Je peux partir marcher en me disant que ce sera une marche sympa avec de beaux paysages et rentrer chez moi comme si rien ne s’était passé. Ou je peux faire un premier pas sur le Chemin et m’abandonner complètement à l’aventure qui m’attend, sans savoir comment j’en ressortirais.

« On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait » Nicolas Bouvier

Cette dernière posture, j’ai essayé de l’adopter, au point de parfois avoir le sentiment de me perdre. Ou plutôt de découvrir des aspects inconnus de moi. De trouver autre chose, de plus vrai, enfoui sous les couches de toutes ces peaux, de tous ces déguisements. Une fois qu’on y touche (au cœur de l’oignon), il n’y a pas de retour arrière possible. C’est à la fois effrayant et tellement enthousiasmant. Et dans cette mise à nu, la seule arme devient la confiance en la Vie.
Et vous, vous vous reconnaissez dans cette définition ? Êtes-vous des pèlerins sur le Chemin de la Vie ?

Lors de ma marche de 4 mois, j’ai réalisé le film « Chemins de Vie, Marcher vers son Essentiel », dans lequel je demande aux pèlerins et pèlerines que je croise pourquoi ils marchent et ce que le Chemin leur apporte.

J’organise une e-projection de ce film, sur Zoom, le mardi 5 novembre à 19H30. Nous regarderons le film ensemble puis nous prendrons un temps pour échanger ensuite sur le chemin de Compostelle (comment se préparer, les peurs, comment mieux vivre le retour) et sur le chemin de la vie. Au plaisir de vous y voir. Vous pouvez réserver votre place ici.

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